Michèle Bokanowski est née en 1943 dans une famille de musiciens. Son père, musicien amateur, est l’écrivain Pierre Daninos et sa mère, pianiste, a longtemps accompagné le cinéma muet au piano. Michèle Bokanowski étudie le russe et la philosophie et à 22 ans, après avoir lu À la recherche d’une musique concrète de Pierre Schaeffer, elle décide d’aborder la composition. Après une formation classique en harmonie, elle rencontre Michel Puig, qui lui enseigne l’écriture et l’analyse d’après le traité de Schoenberg. En septembre 1970, elle débute un stage de deux ans au Service de la recherche de l’ORTF, sous la direction de Pierre Schaeffer. Parallèlement, elle participe à un groupe de recherche sur la synthèse du son et étudie l’informatique musicale à la Faculté de Vincennes avec Patrick Greussay et la musique électronique avec Éliane Radigue, dont elle admire le travail.
Michèle Bokanowski compose des musiques électroacoustiques pour le concert, le théâtre, la danse, le cinéma et la télévision, particulièrement pour les films de Patrick Bokanowski, son mari. Dans le domaine théâtral, elle collabore notamment avec Catherine Dasté, et dans le monde chorégraphique, avec Hideyuki Yano, Marceline Lartigue, Bernardo Montet ou encore Isabelle Kürzi. Elle réalise également des installations musicales, dont un arbre musical destiné à une bibliothèque pour enfants, ou encore une installation sonore de vingt-quatre heures pour les grottes de Nucourt dans le Val-d’Oise.
La musique de Michèle Bokanowski se caractérise par des sons concrets et des mécanismes obsessionnels où prime l’expressivité. En 1974 est créé à la Maison de la culture de Bourges, lors du Festival international de musique expérimentale, Pour un pianiste, œuvre commandée par Gérard Frémy. Pour la réalisation de la bande magnétique, Michèle Bokanowski utilise un cluster de clavecin en ouverture, puis les sons issus de différents thèmes, motifs et cellules rythmiques, enregistrés par Gérard Frémy au piano et piano préparé. Elle obtient ainsi des couleurs, timbres et effets orchestraux. Outre la version pour bande seule, il existe une version de concert, interprétée par Gérard Frémy, qui se présente comme un concerto pour piano et bande magnétique où le pianiste se confronte à l’image déformée de son propre jeu.
Michèle Bokanowski enregistre son matériau sur bande. Ainsi, pour Tabou (1984), elle fixe sur bande les conversations d’amies américaines. Le dialogue à quatre voix lui inspire ensuite la mélodie d’orgue que l’on peut entendre dans l’œuvre. Tabou, qui sera utilisée par les chorégraphes Hideyuki Yano en 1985 et Marceline Lartigue en 1993, lui ouvre les portes du monde de la danse. Avec Phone variations (1988), ce sont les messages vocaux et les musiques d’emprunt des répondeurs téléphoniques qui élargissent de manière significative sa matière sonore et lui permettent un éclairage de la dimension domestique et intime de ces messages par leur mise en scène dans l’espace musical public. Le travail sur l’espace, sur l’illusion de l’espace, rendant la musique presque tangible comme l’illusion de la perspective en peinture, est particulièrement exploité dans L’étoile absinthe (2000), dont le matériau de base est une improvisation en clusters sur synthétiseur.
Un univers poétique et mystérieux se dégage des œuvres de la compositrice. Ainsi dans Trois chambres d’inquiétude (1976), dont le titre fait référence à une série de gravures de l’artiste danois Lars Bo, des matériaux sonores minimalistes, tels rire d’enfant, voix de femme, respirations, se mettent au service d’une dimension narrative diffuse ; Cirque (1994) est un tournoiement continu de sons évocateurs et poétiques ; Chant d’ombre (2004),œuvre minimaliste, est un mélange de textures et de vibrations inquiétantes, une plongée au cœur du néant, un voyage effrayant dans une obscurité palpitante qui n’est pas sans évoquer une oraison funèbre moderne.
Techniquement, Michèle Bokanowski manie habilement les boucles sonores, le procédé de réinjection, la scénarisation des coupes de montage. Pour la musique du film L’Ange (1982) de Patrick Bokanowski, elle fait appel à un trio à cordes qu’elle expose dans des accumulations, des rythmiques et des morphologies complexes, des spirales ascendantes, des ruptures dramatiques… un ensemble rhizomatique de liaisons et de déliaisons. Une même technique est appliquée à différents matériaux, créant une profonde unité dramatique à travers dix parties. La musique accentue différentes zones d’écoute d’une même séquence. Cette partition, sans doute l’une des plus connues de la compositrice, fait le lien entre les minimalistes américains, l'écriture contrapuntique classique et la musique concrète inventée par Pierre Schaeffer.